IDHES

ISOCO

Opinion, actualités et médias – histoire et data – analyse d’une réalité fantôme

Séminaire

Dates

Le jeudi, du 2 mars au 7 décembre 2023, de 16 h à 17 h 30.

Lieu

Exclusivement en distanciel.

Les séminaires ont lieu sur Zoom :

https://cnrs.zoom.us/j/96152395954?pwd=S09ldVFlaFo1ckd4VmYwNEtWS3lhZz09
ID de réunion : 961 5239 5954

Pour obtenir le code d’accès, merci d’envoyer un courriel à patrice.baubeau(at)gmail.com

Organisation

Patrice Baubeau, U. Paris Nanterre, IDHE.S
Mathilde de Saint-Léger, U. Paris Nanterre, Modyco
Brian Chauvel, U. Paris Nanterre, PNUD / MSH Mondes
Angelo Riva, EBS School, PSE

Présentation

Isoco (Indices sociaux-économiques de l’opinion, projet financé par le Ministère de la Culture) a pour objectif de constituer et suivre des indices d’opinion relatifs à l’économie, à la monnaie et à la finance, à partir de la presse numérisée, entre 1880 et 1940. À ce titre, le séminaire s’interrogera sur la notion d’opinion, d’actualité, le rôle qu’y joue la presse, les travaux actuels de mesure de l’opinion, les “narrative economics” et l’usage par les historien·nes des masses de documents numérisés et océrisés.

Programme

Jeudi 2 mars 2023

Présentation du projet Isoco / Opinion publique et économie dans l’entre-deux-guerres

Jeudi 6 avril 2023

Luc Boltanski et Arnaud Esquerre

Jeudi 4 mai 2023

Séance d’étude de travaux publiés

Jeudi 1er juin 2023

Cyril Jayet
Présentation de ses travaux sur la Sociologie de l’opinion publique

Jeudi 6 juillet 2023

Benoît de Courson
Gallicagram

Jeudi 7 septembre 2023 – séance reportée

Jeudi 5 octobre 2023

Process, traitements et premiers résultats

Jeudi 2 novembre 2023

Julien Boyadjian

Jeudi 7 décembre 2023

Philipp Leu
Nouvelle plate-forme de consultation/ Exemples d’application

Argumentaire

Si, comme l’a indiqué fameusement Bourdieu, « l’opinion publique n’existe pas », ce n’est pas rendre service à sa réflexion que de la résumer ainsi : c’est l’opinion telle que la donne à voir les sondages, qu’il critique en 1972. Ce rapport entre un instrument spécifique, le sondage, et le portrait en valeur d’une collectivité, est en effet au cœur de sa critique. Il est vrai que depuis l’essor des « Gallup », nés en 1935, le lien entre opinion et sondage a eu tendance à devenir exclusif (Blondiaux, 1996), remettant même en cause la portée du suffrage comme expression d’une opinion, puisque c’est aux sondages que l’on demande d’en éclairer le sens. De même, le WVS (World Value Survey) issu du European Value Survey né en 1981, cherche à identifier les valeurs principales partagées par la population d’un État et leurs différences dans le temps et l’espace.

Pourtant, et s’en tenant à la France, depuis les mazarinades, la République des lettres, la diffusion des journaux et l’activité des clubs révolutionnaires, ou encore le courrier des lecteurs et les lettres de délation, sans oublier la diffusion croissante du suffrage à l’échelle locale, nationale mais aussi sectorielle (élections scolaires, professionnelles, consulaires ou coopératives), il existe de multiples manifestations de « l’opinion » d’une population donnée ou circonscrite par un cadre institutionnel.

Mieux, l’appel à l’opinion, considéré comme acquis (passé) ou nécessaire (à réaliser) est un lieu commun du discours public – dont la forme populiste de « l’appel au peuple » n’est qu’une des modalités – partagé par tous ceux qui, justement, prétendent ou aspirent à parler au nom de « l’opinion ».

Or, depuis le XIXe siècle, il est en particulier revenu aux médias, et en premier lieu à la presse écrite, de s’adresser à l’opinion et, en retour, de la représenter. Cette relation réciproque ne doit pas étonner puisqu’elle s’appuie sur une autre notion, celle d’actualité, présentée comme le lien causal entre la situation vécue (perçue ?) et son interprétation collective sous la forme d’une opinion. La presse devient ainsi, à la fois, l’instance qui sélectionne, organise et donc « crée » l’actualité et celle qui reflète la réaction de l’opinion à cette même actualité (Boltanski et Esquerre, 2022), dans un jeu spéculaire qui ouvre aussi la voie à toutes les manipulations. Dans ces conditions il n’est guère surprenant que les médias soient rapidement devenus les principaux prescripteurs et diffuseurs de sondages, leur permettant de boucler cette relation opinion-actualité-représentation, au cœur de leur fonction sociale et de leur intérêt économique.

Les historiens, sociologues et économistes ont vite compris l’intérêt qu’il y avait à se saisir de ces mesures d’opinion, qui présentent l’avantage sur les élections de la fréquence et de la précision des questions posées, que l’on peut de surcroît croiser avec de nombreuses propriétés sociales – sexe, CSP, domicile, etc. Mais ils retrouvent trois obstacles à leur analyse : de quoi, de qui et d’où est l’opinion dont les sondages leur renvoient l’image ? Quelle est l’actualité qui forge et promeut cette opinion ? Quelle(s) opinion(s) exhumer avant l’âge des sondages, qui débute véritablement, en France au début des années 1960.

Ce dernier point est plus spécialement au cœur du projet Isoco (Indices sociaux-économiques de l’opinion, projet financé par le Ministère de la Culture), mais ce projet ne peut faire l’économie des deux autres pointes du triangle dessiné plus tôt.

Ces questions, et notamment celle des formulations de l’actualité et des géométries de l’opinion, ont pris une importance nouvelle depuis quelques temps en liaison avec l’essor des réseaux sociaux numériques et des analyses rétrospectives fondées sur les corpus en voie de numérisation. En économie en particulier, en lien avec les nouvelles formulations des politiques économiques connues sous l’expression de forward guidance et la recherche d’une économie enrichie par le recours aux mentalités, comme proposé par Robert Shiller, la recherche et les méthodes d’analyse de vastes corpus médiatiques en vue de donner une forme à l’opinion, connaît une vogue importante depuis une dizaine d’années. Cette vogue rencontre le progrès des outils développés par les linguistes et les informaticiens, alimentés par la pression des acteurs entrepreneuriaux de cette « économie de l’attention » qui cherche justement à exploiter cette connaissance fine des soubresauts et des variétés de l’opinion.

Aussi, le séminaire proposé interrogera ces trois notions liées d’opinion, de média et d’actualité, afin de mieux saisir leurs rapports, leurs définitions évolutives, et bien entendu les outils et les méthodes permettant de les approcher et de les interpréter.

Orientation bibliographique

Bellanger Claude, Godechot Jacques, Guiral Pierre et Renouvin Pierre Préfacier, Histoire générale de la presse française, Paris, France, Presses universitaires de France, 1969, xv+633; xxiv p.

Bertsch Christoph, Hull Isaiah et Zhang Xin, « Narrative fragmentation and the business cycle », in Economics Letters, vol. 201, avril 2021, p. 109783.

Birnbaum Pierre, Le moment antisémite: un tour de la France en 1898, Paris, Pluriel, 2015.

Blondiaux Loïc, La fabrique de l’opinion: une histoire sociale des sondages, Paris, France, Éditions du Seuil, 1998, 601 p.

Boltanski Luc et Esquerre Arnaud, Qu’est-ce que l’actualité politique? événements et opinions au XXIe siècle, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2022, 341 p.

Bourdieu Pierre, « L’opinion publique n’existe pas », in Les Temps Modernes, no 318, janvier 1973, p. 1292‑1309.

Charle Christophe, Le siècle de la presse: 1830-1939, Paris, France, Édition du Seuil, 2015, 401 p.

Dargent Claude, Sociologie des opinions, Paris, France, Armand Colin, 2011, 238 p.

Delporte Christian, Blandin Claire et Robinet François, Histoire de la presse en France: XXe-XXIe siècles, Malakoff, France, Armand Colin, 2016, 350 p.

Garrigues Jean, Les scandales de la République: de Panama à l’affaire Cahuzac, Paris, France, Nouveau monde éd., DL 2013, 2013, 638 p.

Kabiri Ali, James Harold, Landon-Lane John, Tuckett David et Nyman Rickard, « The role of sentiment in the US economy: 1920 to 1934 », in The Economic History Review, n/a, n/a.

Martin Marc, Médias et journalistes de la République, Paris, France, Odile Jacob, 1997, 494 p.

Michel Jean-Baptiste, Shen Yuan Kui, Aiden Aviva Presser, Veres Adrian, Gray Matthew K., THE GOOGLE BOOKS TEAM, Pickett Joseph P., Hoiberg Dale, Clancy Dan, Norvig Peter, Orwant Jon, Pinker Steven, Nowak Martin A. et Aiden Erez Lieberman, « Quantitative Analysis of Culture Using Millions of Digitized Books », in Science, no 6014, vol. 331, 14 janvier 2011, p. 176‑182.

Mollier Jean-Yves, Cornélius Herz (1845-1898) : portrait d’un lobbyiste franco-américain à la Belle Époque, Paris, Éditions du Félin, 2021, 552 p.

Shiller Robert J., Narrative economics: how stories go viral & drive major economic events, Princeton, Princeton University Press, 2019, 377 p.

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