IDHES

Propriétés matérielles et immatérielles (XVIIIe-XXIe siècles)

Appel à projets

Campus Condorcet – Ateliers Condorcet 2020

Durée

2 ans

Porteurs du projet

Anne Conchon, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, IDHE.S

Philippe Minard, université Paris 8, IDHE.S

Christian Bessy, CNRS, ENS Paris-Saclay, IDHE.S

Résumé du projet

L’enjeu de ce projet est de déconstruire la dichotomie postulée entre propriété matérielle (des choses) et propriété des biens immatériels (œuvres de l’esprit, brevets techniques, actifs financiers, travail). Il s’agit d’engager une réflexion collective et pluridisciplinaire pour comprendre comment le droit régissant la propriété des choses s’est étendu à de nouveaux objets tels que les biens incorporels et plus précisément les « œuvres de l’esprit ».

Présentation détaillée

L’enjeu de ce projet est de comparer propriété matérielle (des choses) et propriété des biens immatériels (œuvres de l’esprit, brevets techniques, actifs financiers, travail). Il s’agit d’engager une réflexion collective sur une histoire en longue durée des droits de la propriété pour comprendre en particulier comment le droit régissant la propriété des choses s’est étendu à de nouveaux objets, tels que les biens incorporels et plus précisément les « œuvres de l’esprit ». Cette histoire conduit à interroger la séparation capitale entre les droits des biens et le droit des personnes qui nous semble mise à mal par la catégorie de « droit de la propriété intellectuelle ». La notion de « droit » apparaît d’ailleurs ambivalente dans la mesure où elle peut être entendue comme le corpus des énoncés juridiques traitant de la propriété intellectuelle (le code de la propriété intellectuelle) ou au sens anglo-saxon de « right ».

Ce projet s’inscrit dans un renouveau récent dans différents champs disciplinaires des études sur la propriété et ses multiples régimes (possession, usages etc.), à travers deux enjeux qui se sont superposés : la question des biens communs et celle de l’évolution des conceptions de la propriété intellectuelle. La réflexion très active au cours de ces dernières années sur les communs a certes permis dans certains cas de penser conjointement les ressources naturelles et les propriétés intellectuelles, mais sans nécessairement les articuler. Dans l’ensemble, en effet, les recherches menées sur ces questions tendent à traiter séparément de la propriété des choses et de celle des biens immatériels, même si certains chercheurs ont établi des parallèles, plus ou moins justifiés historiquement, entre l’extension actuelle des propriétés intellectuelles et le mouvement foncier des enclosures caractéristique de l’Angleterre aux XVIe-XVIIIe siècles. Ainsi, dans le sillage d’Elinor Ostrom, économiste spécialiste des communs, les stratégies développées par certaines entreprises pour s’approprier des brevets et des marques de façon exclusive ont pu être qualifiées de « secondes enclosures », marquant l’emprise de « l’idéologie propriétaire ».

L’objectif de ce projet est précisément de déconstruire cette dichotomie entre les propriétés matérielles et immatérielles, pour étudier les références croisées entre l’une et l’autre, et s’intéresser à des objets intégrant les deux dimensions (que l’on pense à la propriété artistique ou à la dimension patrimoniale). M.-A. Hermitte a cherché à faire l’histoire du droit de la propriété intellectuelle en partant du modèle de la propriété foncière : « Il était nécessaire de donner aux œuvres de l’esprit le même régime qu’aux biens matériels car ils sont indissolublement liés au point de vue de l’épanouissement de la personne humaine ». L’objectif de cet atelier est triple :

  • – relire l’évolution historique du droit de propriété, depuis l’époque des Lumières (quand se cristallise l’idée de propriété intellectuelle et artistique) jusqu’au XXIe siècle et aux débats contemporains, qu’une étude historique peut justement éclairer. Il s’agit notamment d’étudier dans quelle mesure les transformations qui ont marqué l’histoire de la propriété des choses – avec la montée de l’individualisme possessif, la réduction de la multiplicité des régimes de propriété, et le recul des divers types de droits d’usage au bénéfice d’une propriété univoque – ont concerné la propriété immatérielle.
  • – saisir ces dynamiques temporelles mais aussi géographiques au prisme de la comparaison, trop peu pratiquée par les chercheurs, entre propriété des choses et propriété de biens immatériels, ce qui suppose de comprendre comment ces derniers sont justement devenus des « biens ».
  • – envisager le problème des droits (d’usage partiel, de perception d’une rente, de redevances, sous-redevances, etc.) qui sont attachés aux biens matériels, meubles et immeubles. Sous l’Ancien Régime notamment, ces droits font l’objet de marchés au même titre que les biens auxquels ils sont liés. Cela contribue à complexifier et brouiller le clivage entre propriété matérielle et propriété immatérielle.

Des objets de recherche limites, tels que les archives ou les capitaux, permettront opportunément d’articuler ces approches croisées. L’attention aux types de biens – par exemple aux conditions incrémentales de production de certains biens immatériels, tels que les inventions ou les logiciels – suppose aussi de discuter des limites dans les comparaisons ou dans les continuités que l’on peut établir dans la façon de concevoir les régimes de propriété régissant les choses réelles et les œuvres de l’esprit.

L’intérêt d’intégrer ce projet dans le programme scientifique du Campus Condorcet tient au fait qu’il s’inscrit dans la continuité d’initiatives portée par plusieurs universités partenaires de cet établissement. L’IDHES-UMR 8533 qui regroupe des collègues affiliés à plusieurs universités et établissement partenaires du Campus Condorcet (Université Paris 1, Université Paris 8, Université Paris Nanterre et CNRS) ont pendant trois ans organisé un cycle de séminaires sur les communs, en s’intéressant aux catégories des biens concernés – qu’il s’agisse de ressources environnementales et cognitives – et aux régimes d’appropriation dont ils font l’objet. Le livre qui rassemble ces contributions originales va paraître prochainement. L’ANR « Privilèges » a par ailleurs montré que ces concessions dérogatoires concernent des actifs matériels comme des procédés inventifs. L’ambition de ce projet, parce qu’il présente des enjeux complexes, est de développer un dialogue résolument pluridisciplinaire entre des chercheurs venant de différents horizons scientifiques – des historiens, des économistes et des juristes notamment – affiliés à différents institutions partenaires du Campus Condorcet. Au-delà du périmètre académique de cet établissement, il importe aussi de prendre appui sur les travaux de l’ANR « Propice » (Propriété Intellectuelle, Communs et Exclusivité) coordonnée par B. Coriat, et qui réunissait des juristes et des économistes. Ce projet a enfin vocation à associer plusieurs collègues étrangers travaillant également sur les questions de propriété et venant d’horizons disciplinaires différents. L’amplitude chronologique choisie pour entreprendre cette réflexion, conjuguée à des études menées sur différents terrains géographiques, doit en effet permettre de saisir à la fois des dynamiques de longue durée et des contextes particuliers où se nouent ou inversement se délient ces régimes de propriété. Les enjeux économiques sous-jacents à cette définition des droits de propriété, qu’ils portent sur des biens réels ou sur des actifs immatériels , sont en outre essentiels. Le fonds de commerce a ainsi été assimilé aux « propriétés intellectuelles », en les qualifiant de « droit de clientèle », au sens d’un droit qui repose sur la captation d’une clientèle considérée comme une source de valeur économique. Cette réflexion engage également une étude des catégories juridiques, en particulier une analyse critique de leur extension au-delà de l’esprit à partir duquel elles ont été conçues. La diversité des biens, la pluralité des formes de propriété (feuilletée, privée, publique collective, commune…) et la complexité des finalités qu’elles servent, justifient pleinement une telle démarche pluridisciplinaire.


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