IDHES

Valeur, prix et politique, 2020-2021

DATES

19 novembre 2020 – 17 juin 2021

Un jeudi par mois, 14 h – 16 h.
Voir le programme ci-dessous.

LIEU

École normale supérieure Paris-Saclay
Bâtiment Sud-Ouest, salle 3E34
4 avenue des Sciences
91 190 Gif-sur-Yvette
Comment venir ?

En raison de la situation sanitaire, le séminaire est accessible exclusivement à distance par Zoom.

Participer à la réunion Zoom (séance du 17 juin 2021) :
https://us02web.zoom.us/j/85302165491?pwd=clVpSjhnOWpwazVzSFI2MXNrVzJDUT09
ID de réunion : 853 0216 5491
Code secret : 881930


ORGANISATION

Christian Bessy | ENS Paris-Saclay, IDHE.S

PRÉSENTATION

Après une longue série de travaux sur la qualité des produits, l’Économie des conventions a entamé depuis quelques années une réflexion sur les formes de mise en valeur des choses ou des personnes. Il ne s’agit pas d’un simple raffinement théorique mais correspond aussi à une réflexion sur les changements politiques favorisant la marchandisation de certaines choses restées en dehors des échanges ou la montée des inégalités entre les êtres. On peut penser aux rémunérations versées aux superstars du football, aux grands patrons, aux traders ou, encore, aux cotes atteintes par des œuvres d’art dans les enchères publiques, témoignant d’une forme de disproportion sinon de sentiments de forte injustice ou d’évaluation arbitraire (Steiner 2011).

La théorie économique a proposé des modèles pour expliquer ces « super prix » ou plus précisément le fait que les rémunérations et les probabilités de réussite augmentent plus que proportionnellement avec le talent et la compétence, en faisant référence à une ultra sensibilité de la demande sur un nombre limité d’individus (Rosen 1981) ou suivant une logique de « winner-takes-all » ou d’avantages cumulatifs. Si ces modèles économiques ont profondément remis en cause le cœur traditionnel de la théorie économique des prix, la notion de « valeur » est le plus souvent réduite à celle de « prix ». Plus généralement, la théorie de la valeur sous-jacente à ces modèles considère la valeur des biens suivant leur utilité intrinsèque pour chacun et donc de façon préalable à l’échange (Orléan 2011). Seuls les travaux dans la lignée d’Akerlof et de Stiglitz ont montré le rôle des prix comme des « signaux de qualité », se substituant à leur fonction d’équilibrage de l’offre et de la demande

De son côté l’approche sociologique, à la suite en particulier des travaux de Simmel, met non seulement l’accent sur le fait que c’est de l’échange que les objets tirent leur valeur et non l’inverse, mais aussi, ne dissocie pas « valeur » et « prix ». Si la mesure monétaire a tendance à aplanir les différences de valeur, un prix très élevé provoquent l’effet contraire et rendent l’entité convoitée moins interchangeable et donc plus singulière. C’est dans ce sens que Lucien Karpik (2007), dans son ouvrage sur l’économie des singularités, explique la disproportion des prix au sommet de la hiérarchie des valeurs. Cette disproportion rappelle que toute volonté de classement et de hiérarchie ordonne en fait des entités incommensurables.

L’objet du séminaire n’est pas seulement de s’intéresser à l’économie de la disproportion des prix mais, plus généralement, de renouer avec les « théories de la valeur » en s’intéressant à la pluralité des modes d’évaluation des biens, aux mécanismes de la formation des prix sur divers marchés et aux différentes significations qu’ils ont pour leurs participants (Vatin 2009, Beckert et Aspers 2011). Comme l’avance O. Velthuis (2007), dans son ouvrage sur le marché de l’art contemporain, les prix ont suffisamment de consistance pour être considérés comme des symboles, et assez flexibles pour donner prise à différentes significations. Il met l’accent sur les processus de construction sociale de la valeur des objets d’art en référence aux conventions en œuvre dans les mondes de l’art. La méthodologie utilisée rejoint de ce point de vue l’approche de l’Économie des conventions sur la pluralité des modes de valorisation (Eymard-Duvernay 1989) ou des mondes de production (Salais et Storper 1993).

Mais, la particularité de cette approche est de travailler très explicitement ces « ordres de grandeur » suivant différentes philosophies politiques et façons de fonder le « bien commun » (Boltanski et Thévenot, 1991). Cette insistance sur la construction politique de la valeur est à relier avec les travaux anthropologiques d’A. Appadurai (1986) qui explore les conditions par lesquelles les objets économiques circulent dans différents « régimes de valeur » suivant l’espace et le temps. C’est ce qu’il désigne aussi comme des « politiques de la valeur » à la base de la création du lien entre échange et valeur. Ce type d’approche conduit à l’examen des carrières des personnes et des objets, suivant la variété des espaces de circulation et de valorisation qu’ils traversent, et à faire l’histoire des catégories de personnes et de choses, avec en particulier les enjeux autour de la définition des frontières. Un accent particulier es mis sur le rôle des « intermédiaires de marché » dans la définition de ces catégories et plus généralement dans leur contribution à la définition des « conventions de valeur » sur différents types de marché (Bessy et Chauvin 2013). Il s’agit également de contribuer plus généralement à une anthropologie des façons essentielles dont les choses peuvent être structuralement différenciées et hiérarchisées en vue de l’obtention d’un échange profitable (Boltanski et Esquerre, 2017) ou à une ethnographie des agencements marchands renouvelée aujourd’hui avec l’émergence des plateformes numériques (Callon, 2017) ou avec des épisodes de crise sanitaire créant des situations de pénurie ou d’accaparement.

Le séminaire donne lieu à des présentations de chercheurs du laboratoire IDHES et d’invités extérieurs. Il est ouvert aux doctorants et aux étudiants de master.

PROGRAMME

Jeudi 19 novembre 2020, visioconférence
Christian Bessy | ENS Paris-Saclay, IDHE.S
La surenchère des droits de la propriété intellectuelle

Jeudi 10 décembre 2020, visioconférence (voir le lien ci-dessus)
Raphaël Porcherot | ENS Paris-Saclay, IDHE.S
La mesure du taux d’exploitation dans les comptes de la nation

Jeudi 14 janvier 2021, visioconférence (voir le lien ci-dessus)
Noé Wagener | Université de Rouen, ISP
Les revendications en matière de patrimoine

Jeudi 11 février 2021, visioconférence (voir lien ci-dessus)
Volny Fages | ENS Paris-Saclay, IDHE.S, Léo Chalet, Victor Chareyron et Maxence Dutilleul | ENS Paris-Saclay
Les makers à l’épreuve de la certification

Jeudi 11 mars 2021
Michela Barbot | ENS Paris-Saclay, IDHE.S
Prix et contrats en perspective historique

Jeudi 8 avril 2021
Guillaume Dupéret | MINES ParisTech, CERNA
La manipulation du LIBOR, une convention entre acteurs financiers

Jeudi 17 juin 2021, 14 h – 16 h
Jean-Pierre LLored | Centrale Casablanca, Centrale-Supélec
La valeur des substances chimiques

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Appadurai Arjun, 1986, ‘Introduction: Commodities and Politics of value. In The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, edited by Arjun Appadurai, 3-63. New-York: Cambridge University Press.

Beckert Jens, Aspers Patrick (ed), 2011, The Worth of Goods. Valuation & Pricing in the Economy, Oxford: Oxford University Press.

Bessy C., 2019, « Économie des conventions et transformations du capitalisme, enrichissement », Revue française de socio-économie, n° 23.

BESSY C., 2020, Un renouveau de la sociologie des prix et des marchés, L’Année sociologique, 70/1, e1-e18. https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ANSO_201_e0001

Bessy C., Chauvin P.-M., 2013, ‘The power of market Intermediaries: From information to valuation process’, Valuation Studies, 1(1): 83-117. http://valuationstudies.liu.se/Issues/contents/default.asp?DOI=10.3384/vs.2001-5992.1311

Bessy C., Chateauraynaud F., 2014, Experts et faussaires, pour une sociologie de la perception, Éditions Petra (1ère édition chez Métailié, 1995).

Boltanski L., Thévenot L., 1991, De la justification. Les économies de la grandeur. Paris, Gallimard.

Boltanski L., Esquerre A., 2017, Enrichissement, une critique de la marchandise, Paris, Gallimard.

Callon M., 2017, L’emprise du marché, Paris, La Découverte.

Eymard-Duvernay F., 1989, « Conventions de qualité et formes de coordination », Revue Économique, Vol. 40, n° 2, p. 329-361.

Karpik Lucien, 2007, L’économie des singularités, Paris, Gallimard.

Kopytoff I., 1986), The cultural biography of things: Commodization as process. In The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, edited by Arjun Appadurai, 3-63. New-York: Cambridge University Press.

Lahire B., 2015, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La découverte.

Lepetit B., 1994 « L’appropriation de l’espace urbain : la formation de la valeur dans la ville moderne (XVIe-XIXe siècles) ».

Orléan André, 2011, L’empire de la valeur. Refonder l’économie, Paris, Éditions du Seuil.

Rinallo, Diego, and Francesca Golfetto. 2006. Representing markets: The shaping of fashion trends by French and Italian fabric companies. Industrial Marketing Management, 35 (7):856-869.

Rosen S., 1981, ‘The Economics of Superstars’, American Economic Review, vol. 71, n° 5, p. 845-858.

Salais R. et Storper M., 1993, Les mondes de production : enquête sur l’identité économique de la France, Paris, Éditions de l’EHESS.

Steiner P., 2011, Les rémunérations obscènes. Le scandale des hauts revenus en France. Paris, Zones.

Vatin F., 2009, Évaluer et mesurer : une sociologie économique de la mesure. Toulouse, Presses Universitaires Mirail-Toulouse.

Velthuis Olav, 2007, Talking prices: symbolic meanings of prices in the market for contemporary art, Princeton, Princeton University Press.

Zelizer V., 2005, “Intimité et Economie”, Terrain, n°45, p. 13-28.

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